Cher Autrui,

Le plus souvent tu passes sans me voir, mais ce n’est pas important car le plus souvent je ne te regarde pas non plus. Tu es parfois grand, parfois petit, parfois homme et parfois femme. Tantôt je te vois passer avec tes amis et tu rigoles, et à d’autres moments je sens que ta solitude te pèse.

Quand je te croise dans le R.E.R je t’invente des vies en fonction de ton attitude, de tes vêtements, des bouquins que tu lis, de la couleur de ton rouge à lèvres, de la taille de tes ongles, et d’encore bien d’autres petites choses. Il m’arrive même d’écouter ce que tu dis au téléphone. Alors je m’imagine ce que ton correspondant te dit, si c’est ton meilleur ami, ta mère, ton directeur, ou un faux numéro.

Autrui, je te vois souvent dans la rue quand tu veux traverser n’importe où et que le feu n’est pas vert, dans ta voiture quand tu me colle au cul plutôt que de me doubler, dans le métro quand tu veux pas me laisser descendre alors que j’aimerais, ou sur le trottoir quand tu parles mal à un autre Autrui, plus pauvre que toi, qui te demande de l’argent.

Mais que penses tu de moi, Autrui ? Suis-je aussi insignifiant pour toi dans ta journée que, disons, le bouton que tu t’es fait sauter ce matin dans la salle de bain ? Et que va tu imaginer de moi quand je parle au téléphone, quand je respecte les limitations de vitesses, quand je fais le con en public et que je dis n’importe quoi avec mes amis ?

De temps en temps je vois que je te fais rire, et ça c’est bien. Oui bien sûr je nourris de nombreux stéréotype à ton encontre mais tu fais de même avec moi, alors qu’importe ?

Parfois, sans raison apparente, je ne t’aime pas. Ta tête ne me revient pas, et je sais que c’est mal. S’arrêter au physique d’autrui c’est manquer d’ouverture d’esprit mais que veux tu ? C’est la nature humaine, je suis sur que même le grand Bouddha ne s’amusait pas à parler avec tout le monde dans le R.E.R.

Je te dois le respect Autrui car tu existe depuis que l’humanité est, alors que moi je n’ai que 24 ans d’ancienneté, mais il faut croire que tu ne transmet pas ton savoir à tes enfants car tu ne semble pas avoir conscience de ton héritage. Peut être as-tu peur d’être l’autrui de quelqu’un. Tout le monde sait ce qu’on pense d’autrui et personne ne veut devenir cet être inconnu et mal odorant, cette personne que l’on accuse de tous les maux, celui de qui l’on pourrait dire du mal en toute quiétude car il n’est pas important dans nôtre vie.

Je suis moi-même l’autrui de milliards de gens et je n’en ai pas conscience.
Si je t’écris aujourd’hui c’est pour que tu prennes conscience que toi aussi tu es Autrui, et que si tu ne prends pas la peine d’être aimable ou courtois avec les autres alors n’en n’attend pas moins de notre part.

Tu peux critiquer ma démarche mais je sais que tu liras cette lettre, que tu te reconnaîtras et ainsi la prochaine fois tu hésiteras un peu avant de klaxonner sauvagement quand le feu devient vert, où tu ne mangeras pas les réserves d’un autre dans le frigo collectif, et si tu pouvais en profiter pour être un peu plus souriant ça serait pas mal non plus.

Merci.

Cordialement.

Un autrui.